En quoi le jeu peut permettre à l'enfant de devenir plus performant dans l'utilisation de ses outils de pensées?

Par Mariam-Héloïse GROGNARD, Psychologue et Psychothérapeute à Aix en Provence

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Le jeu, que ce soit le jeu de rôle ou le jeu de société, incite l’enfant à activer des fonctions cognitives telles que la planification et la hiérarchisation de ses pensées, la mise à jour de la mémoire de travail, et l’ajustement de son comportement en fonction des contraintes de l’environnement. Lorsque l’enfant joue, il doit également focaliser son attention sur les dimensions pertinentes fournies par son environnement sans se laisser distraire par celles qui ne le sont pas. Jouer permet d’acquérir des connaissances organisatrices de la pensée.

 

L’utilisation du jeu pour venir en aide à un enfant présentant des difficultés scolaires s’avère tout à fait pertinente car le jeu va permettre à l’enfant de développer une autorégulation efficace de ses outils de pensée. Pour expliquer ce phénomène, nous allons revenir sur les problématiques que rencontrent les enfants qui ont des difficultés scolaires :

  • Ils interprètent leur performance avec un système d’attribution externe : « si je n’y arrive pas c’est à cause de l’environnement, de la maîtresse, de mes professeurs, de mes camarades… »
  • Ils adoptent un système d’attribution dispositionnelle : « je n’y arrive pas car mon cerveau n’est pas fait pour réussir, je suis bête et c’est inné, je ne suis pas fait pour l’école… et rien ne pourra changer ça ».

Se considérant comme particulièrement incompétent, face à une tâche scolaire ils ne mettent pas en œuvre l’ensemble de leur compétence intellectuelle. Les élèves se retrouvent dans un état de sous-fonctionnement cognitif chronique. Ces élèves ont tendance à se montrer peu rigoureux, à prendre l’information de manière parcellaire, et à mettre peu d’entrain pour résoudre la tâche.

 

Par conséquent, l’objectif prioritaire dans l’accompagnement de ces enfants-là est de leur faire vivre des expériences subjectives de maîtrise de leur fonctionnement psychologique afin qu’ils deviennent plus rigoureux, se sentent plus compétents et mettent en œuvre l’ensemble des ressources cognitives / intellectuelles dont ils disposent. Le jeu est un outil de prise en charge psychologique adaptée. Le suivi en remédiation cognitive que je propose s’adresse aux enfants, mais aussi à leurs parents. Je conseille certains jeux de société à découvrir en famille, en expliquant aux parents comment utiliser le jeu pour qu’il devienne un outil dans le développement intellectuel de leur enfant. Ce type d’interventions psychopédagogiques propose d’apporter des aides à la construction d’outils de pensée d’une part, et à l’utilisation efficace de ses outils de pensée d’autre part. En séance, mon objectif est que l’enfant mobilise pleinement ses ressources cognitives face à chacune des tâches intellectuelles proposées et que la difficulté devienne source de plaisir. Pour cela, je crée un monde attrayant (micro-monde d’expériences) sous forme de jeu de rôle. L’enfant entend une histoire racontée d’un ton enjoué, et doit réaliser des défis cognitifs, des défis intellectuels. Ces défis mettent en jeu la flexibilité cognitive, l’inhibition, la mémoire de travail (auditive et visuelle). L’enfant doit également faire preuve de planification de ses séquences d’actions et hiérarchiser ses pensées. Les capacités de raisonnement et de vitesse de traitement de l’information sont également sollicitées. Aucun défi cognitif proposé ne comporte de dimension de compétition, seul le plaisir de fonctionner cognitivement / intellectuellement compte. Je propose donc des jeux coopératifs où je joue avec l’enfant, et non contre lui. J’adapte les règles et le déroulé du jeu pour que la tâche entre dans le champ des possibles, chaque défi se situe dans la zone de ce que l’enfant sait faire seul et de ce qu’il peut faire en bénéficiant de l’aide de l’adulte. L’objectif est que l’enfant puisse reprendre le contrôle de son fonctionnement intellectuel et qu’il prenne conscience de l’ensemble de ses potentialités.

Il arrive souvent aux enfants d’être en difficulté pour maintenir un focus attentionnel sur la durée, de ne pas être attentif tout au long de l’explication de la consigne. A l’école, cela se traduit par un échec lors de la réalisation de la tâche, non pas par manque de capacité, mais parce que l’élève ne se rappelle plus ce qu’il faut faire. En séance, je demande à l’enfant de répéter au personnage qu’il est en train de jouer la consigne qu’il vient d’entendre. Cette répétition lui permet de maintenir l’orientation de son attention durant la phase d’explication de la consigne, et de la maintenir activement en mémoire pendant toute la durée de la tâche. 

 Les enfants qui ont des difficulté scolaires ont tendance à abandonnent l’effort cognitif qu’ils sont en train de réaliser avant d’avoir terminé. Ils ne parviennent pas à intégrer dans leur raisonnement les étapes intermédiaires nécessaire à la réalisation de la tâche. En séance, l’enfant joue un personnage et il doit expliquer à ce personnage les obstacles à franchir entre l’état initial et l’état final. Cela développe son langage intérieur. Le langage intérieur est une aide puissante dans la régulation de la pensée ; il renforce l’automatisation des savoir-faire. Expliquer à une tierce personne (en l’occurrence son personnage) les obstacles à franchir entre l’état initial et l’état final revient à planifier des séquences d’action en passant par l’action mentalisée. Réfléchir avant d’agir permet à l’enfant de contrôler la frustration liée à la non-atteinte immédiate de son objectif, et in fine évite qu’il abandonne l’effort intellectuel qu’il est en train de fournir.

Avant de réaliser une action, l’enfant doit identifier quelle stratégie intervient (exemple de stratégie : autorépétition mentale ou carte mentale lors des tâches de mémorisation). 

A la fin de la tâche, pour qu’il mette en place des conduites de vérification, je demande à l’enfant de s’adresser au personnage qu’il est en train de jouer et de vérifier ensemble s’il a bien réalisé la procédure précédemment énoncée d’une part, et si cela a conduit à la solution d’autre part. J’invite l’enfant à faire des feedbacks portant sur son fonctionnement et non sur des dimensions de personnalité. Par exemple dans une tâche de placement de carte voici deux feedback portant sur une dimension de personnalité :

– négatif : « je suis une personne inattentive »

– positif : « je suis une personne chanceuse »

Les feedbacks portant sur une dimension de personnalité ne permettent pas de prendre le contrôle de son fonctionnement cognitif, de se sentir compétent et place l’enfant dans un sentiment d’impuissance acquise.

Un  feedback portant sur son fonctionnement serait  « je n’ai pas observé suffisamment chaque détail des cartes, je me suis focalisée uniquement sur la couleur des cartes », ou « j’ai réussi car j’ai été très concentré et attentif ». Aider l’enfant à formuler des feeedbacks portant sur son fonctionnement plutôt que sur des dimensions de personnalité aide à construire son propre sentiment de compétence et permet également d’être moins dépendant des retours positifs et des évaluations extérieures pour se sentir compétent. Cela permet la construction d’une estime de soi solide et durable dans le temps.

 

Au fur et à mesure des séances, l’enfant nourri son sentiment de maitrise, de maitrise de ses outils de pensée. Inciter l’enfant à penser à la manière dont il joue à une incidence positive sur le développement de ses capacités intellectuelles. Les stratégies apprises au cours des différents défis cognitifs sont des stratégies qui sont généralisables et transférables à d’autres situation de résolution de problème (notamment au domaine scolaire).

Au-delà du développement de l’efficience des processus intellectuels, mon travail de psychologue est de susciter chez l’enfant la volonté de soutenir l’effort cognitif. Réaliser des défis cognitifs sous une forme ludique, permet à l’enfant de changer son regard sur ses compétences intellectuelles. J’accompagne également les parents, pour qu’ils puissent à leur tour mettre en place des jeux ludiques venant soutenir le développement des capacités intellectuelles de leur enfant. La démarche ici est de faire sortir les enfants d’une spirale d’échec dans laquelle faible efficience, sentiment d’incompétence et manque de rigueur interagissent et leur font perdre le sentiment de contrôle de leur fonctionnement psychologique.